STRUCTURATION DE LA HONTE DANS LE PROCESSUS DU DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT
A partir du moment où nous arrivons au monde, c’est par notre famille que nous allons apprendre à nous connaître et construire notre sens de l’identité.
Cette identité se développe au fil du temps par le reflet que nous renvoient d’abord les parents, les frères et sœurs et la famille proche, ensuite les enseignants ou les figures d’autorité.
Si le reflet qui nous est renvoyé est positif : si nous nous sentons aimés et appréciés pleinement, et si nos sentiments et besoins sont reconnus et validés, alors nous allons développer un sens du soi positif et équilibré qui favorisera la confiance en nous mêmes et en nos ressentis et aspirations, ainsi qu’une relation de positive avec les autres et le monde extérieur.
Quand les besoins de l’enfant sont remplis, la honte lui permettra d’appréhender sainement ses limites, d’évaluer lorsqu’il fait des erreurs, de se remettre en question et d’intégrer ce qui est socialement acceptable et ce qui ne l’est pas.
Si le reflet qui nous est retourné est plus négatif : si nous faisons face à trop de critiques, de jugements, à des pressions ou attentes trop grandes, à trop de contrôle, ou si nos besoins ne sont pas respectés, alors nous allons développer un niveau de honte proportionnel à l’importance des images négatives qui nous sont renvoyées.
Dans ce cas, une forme toxique de la honte se met en place et se greffe à notre sens de l’identité, nous amenant à nous percevoir comme déficients, anormaux, imparfaits ou pas assez bien. Cette honte va nous couper de nos ressentis profonds et créer un fossé d’indignité qui va se creuser entre nous et notre environnement.
Cette honte dans sa forme toxique se met en place pendant toutes les étapes de l’enfance.
C’est lorsque l’enfant est confronté aux dérèglements et insuffisances des parents et du système familial que le processus s’opère.
Face aux situations problématiques ou aux manques, l’enfant sent (et ressent dans son corps) qu’il y a quelque choses qui ne va pas. Mais l’enfant ne peut comprendre que ce qui lui est naturel : le lien d’amour, l’accueil et la bienveillance. Sans la possibilité d’avoir une vision plus élargie, il ne peut pas comprendre que les dysfonctionnements proviennent par exemple du stress des parents, ou de leurs propres traumas non résolus de l’enfance, et que tout cela n’a rien à voir avec lui de façon directe.
A cause de ce manque de recul, l’enfant n’a alors d’autre choix que de se percevoir comme la cause de ce qui ne va pas. Ainsi, à chaque moment où le contact est perdu avec l’amour et la connexion des personnes qui comptent pour lui, l’enfant se sent responsable et met en place des conclusions négatives sur ce qu’il est, associant ainsi la honte (dans sa forme toxique) à son sens de l’identité.
De façon générale on peut dire que la honte émerge lorsqu'il se produit une rupture dans le lien de connexion et d'appartenance. Cela conduit à pouvoir dresser une liste des facteurs principaux qui vont favoriser la mise en place d’une honte toxique chez l’enfant :
- Les besoins de l’enfant (reconnaissance, sécurité, amour, contact, affection, validation, écoute…) ne sont pas remplis.
- Les besoins de l’enfant rentrent régulièrement en conflit avec les besoins des parents.
- Toute forme d’abus, d’invasion ou de non respect des limites émotionnelles, physiques ou sexuelles.
- Abandon ou séparation physique d’un ou des deux parents ou des figures parentales.
- Ne pas avoir été désiré en tant qu’enfant.
- Être humilié lors des échecs, ou culpabilisé lorsque l’on commet des erreurs.
- Être traité avec condescendance, infantilisé, voir notre avis ou nos ressentis non validés ou non pris en compte.
- Être jugé, rabaissé, humilié ou subir des moqueries. Ou être comparé négativement à d’autres personnes.
- Voir certains de nos sentiments profonds ou certaines émotions jugés ou condamnés.
- Subir trop de pressions pour réussir ou être différents de ce que nous sommes.
- Ne pas être encouragés et accompagnés dans notre processus de découverte du monde.
- Subir trop de contrôle ou grandir dans un cadre trop contraignant.
- Être le jeu d’une forme de manipulation pour jouer un rôle dans la famille ou avec un des parents.
- Ressentir que notre besoin d’autonomie met en danger la connexion avec nos parents.
- Avoir des parents trop stressés ou peu disponibles.
- Avoir des parents emplis eux-mêmes de honte, et n’offrant donc pas un modèle qui montre que l’on peut dignement être tel que l’on est.
Une fois que la honte est cristallisée, avec la batterie d’auto-jugements et les peurs qui en découlent, elle se greffe à la structure de la personnalité pour générer un sens de soi qui se perçoit comme anormal, imparfait, déficient ou pas assez bien.
La honte va aussi se lier avec les sentiments profonds de l’enfant, avec ses besoins et ses pulsions pour les désavouer et/ou les condamner.
Un carcan est alors créé autour de l’être, qui se sent indigne et insuffisant, et qui doit se cacher des autres et de lui-même. La peur maintient le carcan en place en imaginant que si nous dévoilons ces parts déficientes, nous allons être jugés ou rejetés.
Pour pouvoir survivre, l’enfant est alors obligé de mettre en place des stratégies qui vont aboutir à la création d’un soi factice, d’une personnalité construite autour :
- des moyens élaborés pour essayer d’obtenir des signaux positifs de la part des autres ou de l’environnement,
- des choses à cacher ou à mettre en avant pour avoir plus d’affection et de reconnaissance,
- de façons de conceptualiser les autres et le monde pour se sentir plus à sa place ou plus important.
La personnalité ainsi créée va avoir tendance à prendre la place du soi originel et à totalement l’occulter.
La souffrance et la contraction qui en découlent deviennent la nouvelle normalité, et le piège se referme, laissant l’être enlisé dans une création qui le maintient de plus en plus loin de lui-même, ce qui renforce le sentiment de dépréciation intérieure.
Le mécanisme est alors suffisamment puissant pour continuer à s’auto-entretenir tout en se développant et se renforçant avec l'âge.
Patrick Boulan
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