dimanche 6 mars 2022

LA FIN DES STRATÉGIES

 ou EN FINIR AVEC LA FAUSSE SPIRITUALITÉ

 

 Il est un constat important à faire lorsque l’on veut être libres : c’est de voir combien la spiritualité et le développement personnel peuvent souvent, malgré leurs bonnes intentions, être des voies qui renforcent l’égo. Les pratiques spirituelles peuvent en effet créer un mouvement d’auto centrage narcissique, ou maintenir  un niveau de conflit ou de déni important en nous en nous offrant toute une nouvelle gamme de stratégies et de techniques pour mettre de côté les éléments de notre expérience qui nous dérangent ou que nous ne voulons pas ressentir.

 

Ainsi, l’égo va avoir tendance à s’engager dans la spiritualité ou le développement personnel dans l’espoir de pouvoir se débarrasser des choses qu’il ne veut pas sentir, pour essayer de se construire une meilleure image de lui-même, ou pour essayer d’atteindre ce dont il imagine avoir besoin pour se sentir plus complet.

Grâce à la gamme presque infinie de techniques et d’outils disponibles dans ces domaines, l’égo va pouvoir établir de nouveaux modèles de valeurs et de nouveaux principes, en redéfinissant ses conceptions sur ce qui est bien et de ce qui est mal, sur ce qui est spirituel et ce qui ne l’est pas, sur ce qui peut exister et ce qui devrait disparaître.

Fort de ces nouveaux modèles, il va utiliser toutes les techniques avec lesquelles il rentre en contact pour renforcer son effort pour nier, réprimer ou tenter de faire taire les émotions et sentiments profonds qu’il juge peu spirituels, ou peu acceptables, ou trop déstabilisants. Il va tenter de remplacer ces sentiments ou émotions par d’autres qu’il juge plus élevés, plus dignes, ou plus spirituellement acceptables.

Il va pouvoir trouver des recettes qui lui disent comment faire dans telle ou telle situation, comment être, comment voir les choses, et comment se positionner (ou vers quoi se tourner) pour asseoir une forme de transcendance qui lui assurera de ne plus sentir si fortement les choses qui le dérangent. Il va ainsi développer des attitudes et des façons d’agir qui vont à l’opposé des ressentis profonds de l’être, dans l’espoir que cela permettra de modifier le ressenti initial et d’être perçu différemment

 

Plus globalement, avec la spiritualité, l’égo va vouloir créer de nouvelles images de lui même - plus spirituelles, plus pures, plus élevées – qui vont lui permettre de compenser ses manques et ses parts qu’il juge trop vulnérables, trop fragiles ou déficientes.

L’égo va donc avoir tendance à utiliser la spiritualité comme un nouvel outil pour lui permettre de se créer une meilleure image de lui-même et pour renforcer son activité de contrôle et de résistance. Il va aussi accumuler les connaissances et la compréhension qu’il acquiert pour affirmer sa différence ou sa supériorité. C’est ce que l’on appelle le narcissisme spirituel.

L’industrie de la  spiritualité et du bien être surfe sur la vague et devient le nouveau terrain de jeu de l’égo, où une grande partie du « bien être » et de l’évolution  ressentis par les pratiques en cours dans ces domaines sont en fait liés à une forme d’inflation de l’égo qui augmente de façon artificielle son niveau d’estime de soi.

 

Ainsi, malgré le fait que la spiritualité favorise l’ouverture à une dimension plus grande, l’égo nous maintient bloqués dans cette course sans fin vers un bonheur projeté dans un futur improbable, guidés par un désir après l’autre, motivés par cette force qui cherche à s’éloigner de la peur et de l’inconfort et qui cherche à obtenir de l’extérieur ce qui paraît lui manquer intérieurement.

 

Or, comme l’a écrit Chögyam Trungpa (maitre du Bouddhisme Tibétain):

« Avancer de façon juste sur le chemin spirituel est un processus très subtil : ce n’est pas quelque chose dans quoi on doit s’engager naïvement. Il y a un grand nombre d’obstacles qui conduisent à une vision centrée sur l’égo et distordue de la spiritualité ; on peut se tromper en s’imaginant se développer spirituellement alors que nous renforçons notre égocentrisme par des techniques spirituelles. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La vraie spiritualité n’est donc pas une réécriture plus positive de notre histoire et de notre vécu personnel, ni une reconstruction plus élaborée  ou plus élevée de l’égo.

La véritable spiritualité est une. La vraie spiritualité est un arrêt de l’effort, et un abandon total à ce qui est.

Lorsque l’on reconnaît notre nature profonde, on se rend compte que tout est unifié, qu’il n’y a pas de séparation, ni de concepts de bien ou de mal, ni de supérieur ou d’inférieur. Tout est Un, et tout est conscience, et tout fait partie de la conscience.

Ce qui veut dire que toute expérience que nous vivons, quelle qu’elle soit, est directement connectée aux parts les plus profondes de notre expérience et à notre nature authentique.

Donc si on ne perçoit pas notre expérience comme quelque chose d’unifié, nous maintenons une division en nous, et nous ne considérons plus que tout est l’expression de notre véritable nature et que tout est interconnecté. C’est cette division qui nous amène ensuite à nous sentir incomplets et à chercher l’équilibre et la complétude dans une expérience autre que celle qui est présente dans le moment.

 

Une spiritualité authentique est une spiritualité qui nous conduit à un point d’arrêt.

Dans cet arrêt de la quête insatiable que l’égo cherche à maintenir, la vie nous amène à faire face à tout ce que nous avons essayé de fuir, de compenser ou de changer.

Et c’est là que le vrai sens du mot sacrifice peut se révéler : étymologiquement sacrifice vient du latin « sacrum facere » qui signifie fait de rendre sacré, de faire une offrande.

Ici, dans ce thème de la spiritualité, le sacrifice est le sacrifice de l’égo de ses désirs et de ses attachements pour quelque chose de plus grand, de plus sacré. Dans une spiritualité authentique, c’est l’égo qui est sacrifié sur l’autel de la réalité, sur l’autel de la vérité.

Cela renvoie donc à un renoncement à toutes les stratégies, à toutes les formes de contrôle, à toute recherche de quelque chose de « plus » qui pourrait nous faire nous sentir plus complets. C’est l’arrêt complet de ces impulsions égotiques qui imaginent sans cesse que les choses devraient être différentes de ce qu’elles sont.

Cet arrêt de la fuite en avant nous permet enfin de pouvoir enfin nous ouvrir pleinement à l’expérience du moment, dans un contact approfondi avec tout ce qui est, avec les parties « ordinaires » ou profanes comme avec les parties extraordinaires, avec les parties douloureuses comme avec celles qui sont extatiques.

A ce moment là, les parts de notre être qui sont traumatisées, blessées ou qui se sentent déficientes, indignes ou pas assez bien, et qui sont restées rejetées depuis si longtemps, vont pouvoir enfin se réunifier à la globalité de votre être grâce à notre acceptation bienveillante et aimante.

 

Quand le fossé est ainsi comblé, quand l’amour prend forme dans cette intimité profonde avec l'expérience, quand la division intérieure prend fin, la profondeur de notre être devient de plus en plus consistante. 

C'est ce qu'illustre la citation de Saint Jean de La Croix : « Plus j’ai voulu chercher les qualités, d’autant moins je me sui trouvé. Moins j’ai voulu chercher les qualités, d’autant plus je me suis trouvé. »

Dans l'arrêt des stratégies, dans l'arrêt de la quête, dans ce renoncement à vouloir toujours se sentir "bien" ou "mieux", la vérité  de notre nature profonde se révèle.

Dans cette inclusion absolue, la spiritualité est la révélation de la vérité ultime !

 


 

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